ACCURATE : un modèle européen futuriste de fabrication « partagée »

Repenser radicalement le modèle de l’industrie européenne, en mettant sur pied un « écosystème » au sein duquel les entreprises de tous secteurs pourront partager leurs ressources au sens large : c’est l’ambition du projet ACCURATE, auquel participe IMT Atlantique. A la clé, une meilleure résilience face aux chocs externes, une « agilité » accrue et une compétitivité renforcée pour les acteurs du Vieux continent.

Une « place de marché » pour partager les ressources industrielles

Avec le projet ACCURATE, c’est un véritable changement de modèle que la Commission européenne entend impulser pour l’industrie du Vieux continent. Il s’agit en effet de créer une « place de marché » sur laquelle des entreprises de différents secteurs pourraient partager leurs ressources en tant que service : installations de production (machines, lignes de production, ...), matières, pièces détachées, logiciels, données…  et même leurs collaborateurs.

De quoi les rendre à la fois plus compétitives et plus résilientes face aux aléas de tous ordres (climatiques, géopolitiques…), tout en leur permettant d’optimiser encore davantage leurs performances, de mieux gérer leur consommation d’énergie et leur impact environnemental. La démarche fait ainsi écho au récent rapport sur la compétitivité européenne de l’ancien président de la BCE Mario Draghi. 

S’inspirer du Manufacturing as a Service pour un écosystème agile et collaboratif

« Aujourd’hui, il n’est pas rare qu’un industriel dispose d’un carnet de commandes trop plein tandis qu’un autre, concurrent ou non, doit tourner au ralenti, explique Valeria Borodin, enseignante-chercheuse au Département Automatique, Productique et Informatique (DAPI) d’IMT Atlantique, qui participe au projet. Pourquoi ne pas mettre la chaîne de production du second au service du premier, sur une période donnée, en s’appuyant sur la digitalisation et la connectivité ? Cela leur permettrait de mieux résister à des chocs exogènes comme la pandémie de Covid, une pénurie de composants ou un problème d’ordre géopolitique, voire social. »

Les exemples d’application potentiels sont nombreux :  un surplus d'inventaire ou un résidu produit par telle entreprise peut être utilisé par une autre ; la « chaleur fatale » générée par une usine peut être récupérée ailleurs ; des machines mises à l’arrêt pourraient servir à une autre production… 

Le modèle du MaaS utilisé à grande échelle

Ainsi verrait le jour un réseau d’entreprises, parfois concurrentes sur un marché donné, sans limite de nombre. « On passe alors d’un mode fonctionnement où chaque industriel opère dans son coin, à un véritable écosystème, beaucoup plus compétitif et résilient », observe Valeria Borodin. 
Certes, ce type de collaboration existe déjà - par exemple dans le secteur des circuits imprimés ou de l’impression 3D : c’est le principe du MaaS (« Manufacturing as a Service »), un système de production « agile » qui vise précisément à mettre des entreprises en réseau sur demande pour mieux répartir les ressources entre elles, en fonction des compétences de chacune. Le MaaS permet notamment de gagner en efficacité et de réduire les délais de production. A terme, ACCURATE vise à l’étendre à de larges pans d’activité, voire à le généraliser parmi les entreprises européennes. Le tout à un moment où la concurrence mondiale leur impose de nouveaux défis.

Le projet européen ACCURATE réunit une douzaine de partenaires

Lancé en décembre 2023, ACCURATE est donc un projet d’envergure. Il dispose d’un financement de 6 millions d’euros euros sur trois ans, et réunit une douzaine de partenaires. Parmi eux, trois chefs de file industriels - Airbus, le français Tronico (électronique de pointe) et l’équipementier automobile Continental - et quatre institutions académiques, dont IMT Atlantique (1). 
Outre la systématisation du MaaS, un autre élément clé du projet est la mise sur pied d’un système d’aide à la décision, qui permettra à l’écosystème de fonctionner de façon distribuée et efficace. C’est l’un des sujets sur lesquels travaille l’équipe d’IMT Atlantique. Composée de trois enseignants-chercheurs du DAPI, ainsi qu’un « post-doc » et une doctorante, l’équipe mobilise ses compétences en automatique, recherche opérationnelle, génie industriel et simulation.

De gauche à droite : Rim Djazia Gaouar, doctorante, Alexandre Dolgui, responsable du DAPI, Valeria Borodin, enseignante-chercheuse,  Cristian Duran Mateluna, post-doctorant, Siqing Wu, doctorante et Simon Thévenin, enseignant-chercheur. 
De gauche à droite : Rim Djazia Gaouar, doctorante, Alexandre Dolgui, responsable du DAPI, Valeria Borodin, enseignante-chercheuse,  Cristian Duran Mateluna, post-doctorant, Siqing Wu, doctorante et Simon Thévenin, enseignant-chercheur.

A l’évidence, ACCURATE s’adresse en priorité à des entreprises très connectées et bien avancées dans leur transition digitale. Automatisation, simulation, et jumeaux numériques font en effet partie des outils du dispositif en cours d’élaboration. « Beaucoup de tâches sont automatisées, mais l’humain reste maître du jeu, insiste cependant Valeria Borodin. » 
Les questions de confidentialité et de droits de la propriété font bien sûr l’objet d’une vigilance particulière. Strictement conformes aux règlementations européennes, les solutions retenues permettent d’échanger sans exposer les données sensibles. ACCURATE utilise notamment Gaia-X, un projet de standards appliqués au cloud pour un partage de données ultra-sécurisé destiné aux industriels européens.
Reste que de nombreuses étapes devront être franchies pour que le projet prenne forme : il faut identifier les acteurs potentiels et leurs besoins ; voir où et comment le MaaS peut être instancié et implanté ; coordonner le partage des ressources et des solutions entre industriels ; partager les gains et les responsabilités de la mise en oeuvre ; assurer la sécurité du dispositif… La dimension chronologique est aussi un enjeu : à quel moment faut-il se consacrer à telle production ? Sur quelle durée ?

Un changement de culture pour les industriels

L’une des difficultés à résoudre est celle des différentes réglementations du travail suivant les secteurs ou les pays. Idem pour l’homologation et la standardisation des équipements. D’où la nécessité de développer des « ontologies » - autrement dit, des modèles de représentation des connaissances d’un domaine spécialisé. Ce n’est pas tout : « Chaque industrie a son jargon, ses tics de langage, ses acronymes, ajoute Valeria Borodin. Des définitions multiples peuvent recouvrir une même réalité. Nous devons donc nous assurer que les différents acteurs se comprennent vraiment. » Les questions d’interopérabilité occupent donc aussi une place importante dans le projet. 
Un autre axe de travail consiste à imaginer comment mieux intégrer le MaaS aux stratégies d'atténuation des chocs appliquées localement par les industriels telles que la diversification des fournisseurs, les surstocks, la redondance des moyens de production, la flexibilité des systèmes de production… « Tout cela nécessite un travail long et complexe, indique la chercheuse. Nous procédons pas à pas, tout en veillant à garder la vision d’ensemble ».  
« L’objectif final n’est pas seulement d’améliorer la compétitivité de tel ou tel industriel, souligne Valeria Borodin. Il s’agit pour eux d’apprendre à travailler autrement, en utilisant leurs ressources dans le sens large du terme de la façon la plus intelligente possible, au sein d’un écosystème. C’est une démarche passionnante, qui dépasse les enjeux de connectivité ou de digitalisation, et qui intéresse de plus en plus d’acteurs. » Un véritable changement culturel pour des entreprises habituées jusqu’alors à travailler chacune de son côté. Tout un programme.

(1) Participent également au projet : 

  • Berlin School of Economics and Law, Aarhus University (Danemark), Fraunhofer IAO (Allemagne) ; 
  • deux « intégrateurs » de solutions logicielles, EnginSoft (Italie) et Delta DAO (Allemagne) ; 
  • deux centres d’innovation, Institute of Entrepreneurship Development (IED, Grèce) et Simavi (Roumanie).

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Publié le 09.01.2025

par Fabienne MILLET-DEHILLERIN

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