Quand les lignes d’assemblage deviennent circulaires

Le marché de la récupération gagne du terrain, y compris dans les usines d’assemblage ! Grâce à un écosystème de logiciels, le projet européen ALICIA souhaite favoriser la circulation des ressources de production. Des scientifiques d’IMT Atlantique impliqués dans le projet œuvrent ainsi au développement d’une plateforme pour optimiser les lignes de production, en minimisant les changements de machines et en poussant l’utilisation de ressources de seconde main.

Dans un monde où la technologie évolue à une vitesse fulgurante, et où le smartphone incarne l’outil ultime et essentiel du quotidien, il est tentant d’en attendre les fonctionnalités technologiques les plus récentes, les plus performantes, les plus spectaculaires… C’est ainsi que tous les six mois, de nouveaux modèles de téléphones sont fabriqués et mis sur le marché.

Cette cadence effrénée de production pose évidemment des défis majeurs en matière de durabilité et de gestion des déchets électroniques, mais également au niveau des chaînes de production. La fabrication d’un nouveau modèle de téléphone s’accompagne généralement du changement de la ligne d’assemblage et des équipements. « Beaucoup de ressources de production et d’outils sont ainsi jetés à la poubelle avant leur fin de vie, alors qu’un équipement industriel peut durer jusqu’à 20 ans », pointe Simon Thevenin, chercheur en recherche opérationnelle à IMT Atlantique et impliqué dans le projet européen ALICIA.

Face à ce problème, ce projet propose de fournir un écosystème de différents logiciels afin de favoriser l’utilisation de ressources de seconde main dans les lignes d’assemblage. Démarré en janvier 2023 pour une durée de trois ans, le projet ALICIA s’inscrit dans le cadre d’un appel à projets du programme Horizon Europe, autour du développement d’outils numériques pour soutenir l’économie circulaire. Les cas d’usage sont essentiellement centrés sur l’industrie automobile, du fait de la participation d’industriels du secteur, dont Continental et Comau.

L'équipe du projet européen Alicia

Une boucle vertueuse pour les équipements de production

Le marché de seconde main pour l’équipement industriel n’est pas chose nouvelle, mais « il y a de plus en plus de ressources donc c’est un marché qui grossit, dans lequel nous venons implémenter de nouveaux outils et de nouvelles technologies », introduit Simon Thevenin. Pour répondre à la demande d’une usine désireuse de créer une nouvelle ligne d’assemblage, le projet ALICIA prévoit ainsi un écosystème de fabrication circulaire (CME) composé de plusieurs briques de logiciels.

La première consiste à analyser et identifier les besoins en ressources de la nouvelle ligne. Une e-plateforme, développée pour le projet, cataloguera les équipements d’occasion en provenance d’autres usines, à l’échelle européenne. Ces équipements seront mis en balance avec les actifs de production déjà en place dans l’entreprise commanditaire, et les appareils neufs, commandables aux fabricants. Un outil d’appariement intelligent développé par IMT Atlantique, l’AI-Matchmaking Engine, viendra alors faire le lien entre les besoins de l’usine et les ressources disponibles, neuves ou d’occasion.

La future ligne d’assemblage sera ensuite simulée numériquement par un outil appelé Digital Shadow. « Cela permettra au commanditaire de visualiser sa ligne et, à partir de là, de décider d’acquérir, ou non, des équipements de seconde main », développe Simon Thevenin. Le cas échéant, un intergiciel (un logiciel tiers utilisé pour faire communiquer différentes applications informatiques entre elles), appelé Plug & Produce, facilitera la mise en service des équipements dans la ligne d’assemblage grâce à des jumeaux numériques. À la mise hors service, les actifs pourront soit être recyclés s’ils sont en fin de vie, soit (ré)intégrer la place de marché développée pour le projet, et ainsi alimenter l’écosystème circulaire d’ALICIA.

écosystème de fabrication circulaire (CME) d’ALICIA pour les ressources de production

Une configuration à l’épreuve des évolutions

Une ligne d’assemblage est un ensemble de stations auxquelles sont affectées des ressources qui répètent les mêmes tâches en séquence. Le produit à fabriquer se déplace d’une station à une autre jusqu’à sa finalisation. En fonction des industries, une ligne peut aller d’une vingtaine de tâches à 500, voire 1 000 tâches (pour l’assemblage d’une voiture par exemple). La conception d’une ligne d’assemblage repose sur le croisement entre les différentes tâches nécessaires à la fabrication du produit, et les différentes ressources qui exécutent ces tâches en un temps donné. Classiquement, une ligne est élaborée compte tenu du produit qu’elle doit fabriquer, et reste fixe pendant une génération (de six mois, un an…). Chaque fois que la ligne est reconçue, de nouvelles tâches et ressources sont réaffectées à chaque station.

L’objectif de Simon Thevenin et de son équipe est de développer des outils qui vont déterminer quels équipements placer à chaque station, s’il faut les acheter neuf ou de seconde main, à quel moment les remplacer, s’il faut attendre leur fin de vie ou les remplacer par une nouvelle technologie plus efficace, etc. « Cela implique de prendre en compte l’ensemble du cycle de vie de la ligne, et d’imaginer comment les produits fabriqués dans le présent vont évoluer dans le futur », explique le chercheur.

À partir d’une ligne de production en cours, les scientifiques imaginent donc plusieurs scénarios, dans lesquels apparaissent de nouvelles tâches impliquant de nouvelles ressources ; ainsi que les évolutions possibles de ces nouveaux scénarios. Dans le cadre du projet ALICIA, les scénarios sont générés aléatoirement « mais nous pourrions demander au commanditaire quels sont les changements les plus probables », complète Simon Thevenin. En prenant en compte ces scénarios et les futures modifications possibles, le chercheur et son équipe espèrent concevoir une ligne d’assemblage plus robuste au changement : pour qu’à chaque nouveau produit, il soit plus simple de changer les ressources.

Une recherche opérationnelle, entre contraintes de coûts et réemploi

La ligne d’assemblage est alors considérée comme un problème d’optimisation combinatoire, c’est-à-dire qu’elle nécessite de trouver, parmi un nombre de configurations fini, la meilleure option. Celle-ci est un arbitrage entre différents types de coûts : liés à l’achat et l’installation des équipements, au nombre de stations, à la formation du personnel technique lorsque les machines sont changées… Un ordinateur pourrait tester toutes les combinaisons possibles et retenir la plus optimale, « le problème, c’est que le nombre de combinaisons est généralement très grand, et en pratique ce n’est pas réalisable », souligne Simon Thevenin.

Les scientifique d’IMT Atlantique font donc appel à des modèles mathématiques qui respectent certaines logiques et contraintes. Bien sûr, plus il y a de scénarios, plus le modèle est long et compliqué à résoudre. « On se fixe généralement une limite de temps – par exemple, une heure – et on regarde combien de scénarios le modèle est capable de résoudre dans ce temps, si c’est plutôt 100 ou 1 000 », détaille Simon Thevenin. Des techniques d’intelligence artificielle, notamment l’apprentissage par renforcement, sont également mobilisées pour essayer de résoudre ces problèmes, aussi qualifiés de « stochastiques dynamiques ». « Stochastiques » du fait de l’incertitude sur les scénarios futurs, et « dynamiques » car, à chaque génération, le produit change et la ligne d’assemblage avec.

Le logiciel développé in fine sera capable, à partir des données d’entrées (stations, tâches, ressources), de sortir des propositions pour une ligne d’assemblage optimisée, incluant le remplacement, lorsqu’un équipement est détérioré, par une ressource en meilleur état issue de la place de marché. Les équipes d’IMT Atlantique en achèvent actuellement une première version et doivent prochainement passer à l’application des cas d’usage définis par le projet. « L’étape suivante est d’amener la ligne d’assemblage optimale identifiée vers un ordinateur pour que l’industriel voie à quoi elle ressemble, et décide s’il franchit le pas de la seconde main ou non », résume Simon Thevenin.

Une alliance franco-allemande qui a déjà fait ses preuves

Le projet Horizon Europe ALICIA, pour Assembly Lines in Circulation, est coordonné par l’université technique de Munich (TUM), et bénéficie d’un financement de 5,8 millions d’euros pour une durée de trois ans, à partir de janvier 2023. Il résulte d’un projet Horizon 2020, appelé ASSISTANT, impliquant déjà la TUM mais coordonné à l’époque par IMT Atlantique. « Le projet ALICIA reprend un des axes de travail d’ASSISTANT autour de la planification des processus industriels. Des objectifs de durabilité y ont été ajoutés pour appliquer à l’achat d’équipements de seconde main », relate Simon Thevenin.

Plus d'info

Cet article est republié à partir du blog I'MTech.
Lire l'article original : « Quand les lignes d’assemblage deviennent circulaires »

Publié le 17.06.2024

par IMT Atlantique

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