L’objectif du projet européen CEREBRO est de concevoir le premier produit de contraste électrique pour fournir des images complètes du cerveau de manière non invasive. Les méthodes actuelles d’imagerie de l’activité cérébrale par électroencéphalographie sont limitantes, au niveau de la résolution spatiale, et ne couvrent pas l’ensemble du cerveau. Le produit qui sera mis au point dans CEREBRO devrait permettre de s’affranchir de ces limites. Les chercheurs d’IMT Atlantique Adrien Merlini et François Rousseau nous dévoilent les détails de ce projet.
CEREBRO, un projet Horizon Europe
Pour observer ce qui se passe dans notre cerveau, l’électroencéphalographie (EEG) est un outil de choix. En enregistrant l’activité électrique générée par le cerveau, à l’aide d’électrodes placées sur le cuir chevelu, elle donne de nombreuses informations, et ce de manière non invasive. L’EEG se heurte cependant à plusieurs problèmes, par exemple à la barrière de la boîte crânienne qui limite la lecture du signal émis par le cerveau. Il est ainsi difficile d’avoir des informations très précises sur son activité fonctionnelle.
C’est pour tenter de lever ces limitations que CEREBRO, un projet Horizon Europe réunissant 5 partenaires européens, a été lancé en 2022 pour une durée de 4 ans. Adrien Merlini, chercheur au département Micro-ondes d’IMT Atlantique, partenaire de CEREBRO, rappelle le but du projet : « L’idée est d’injecter un produit de contraste qui changerait, a priori, la nature du signal mesuré par la nouvelle EEG. Ce signal serait alors davantage lisible et offrirait plus d’informations extraites du cerveau, toujours de manière non invasive, c’est-à-dire sans nécessiter une opération ».
Le projet CEREBRO cherche donc une méthode pour reconstruire l’entièreté du signal mesurable généré par l’activité cérébrale, sans avoir à ouvrir la boîte crânienne des patients. « Cela ouvrirait de nouvelles possibilités au niveau médical et de la recherche avec des données qui ne sont pas pour l’instant accessibles » ajoute le chercheur. Ces nouvelles données sont surtout des informations spatiales et temporelles. En d’autres termes, meilleur est le signal capté par l’EEG, plus il est facile de savoir où l’activité cérébrale a lieu, à la manière d’une loupe avec un meilleur grossissement. Et il est aussi plus facile de suivre cette activité dans le temps, comme avec un écran qui se rafraîchit plus fréquemment. De même qu’un vidéaste produit de meilleures images avec une caméra qui zoome plus et filme plus rapidement, les praticiens voient mieux le cerveau avec un outil aux meilleures résolutions spatiales et temporelles.
Adrien Merlini et François Rousseau
Le premier produit de contraste pour explorer le cerveau en entier
Pour François Rousseau, chercheur en sciences de la donnée à IMT Atlantique, CEREBRO serait utile par exemple pour des applications cliniques nécessitant un outil de mesure précis de l’activité cérébrale. « Il servira aussi pour le diagnostic et la recherche sur le cerveau, qui est encore difficile à comprendre. » De là à voir bientôt ce produit de contraste utilisé lors de tous les EEG ? « Ce n’est pas un outil de mesure externe, car il nécessite l’injection d’un produit dans le corps. Il va donc falloir du temps avant qu’il arrive à la validation et aux possibles tests », précise le chercheur.
Pour atteindre les objectifs du projet, le premier pilier est donc la mise au point du produit de contraste si crucial. Comme pour tous les produits de contraste, le principe repose sur la mise en valeur des zones d’intérêt. En chimie ou en biologie, des traceurs permettent de suivre la propagation d’un produit, en le rendant fluorescent par exemple, ou coloré, et donc plus visible que le reste du milieu. Dans le cas de CEREBRO, le produit de contraste repose sur son activité électrique, pour être détecté lors de l’EEG et renvoyer à l’observateur (un médecin par exemple) des informations sur la zone précise où se produit l’activité dans le cerveau.
Comprendre l’intérêt et les limites de l’EEG
L’imagerie cérébrale a deux grandes familles : les imageries anatomique et électrique. D’un côté, l’imagerie anatomique permet de caractériser les tissus constituant la tête. C’est le cas d’une IRM (imagerie à résonance magnétique) qui fournit une très bonne résolution spatiale avec une représentation physique fidèle des tissus. Le problème, c’est qu’elle ne donne pas suffisamment de renseignements sur l’activité cérébrale.
De l’autre côté, l’imagerie électrique du cerveau grâce à l’EEG montre ce qui s’y passe pendant une tâche ou au repos. Elle offre déjà une bonne résolution temporelle, mais pas spatiale — d’où l’atout du projet CEREBRO. L’activité dans le cerveau est intense et il faut la construire relativement en peu de mesures. « Les EEG en haute résolution de recherche utilisent près de 256 électrodes pour reconstruire potentiellement des milliers de points de données », illustre Adrien Merlini. Cette technique permet d’obtenir des informations suffisantes pour certaines applications, sans être invasive.
En revanche, lorsque les données de l’EEG ne suffisent pas à comprendre l’état d’un patient, les praticiens peuvent aller plus loin. Ils procèdent alors à une ouverture de la boîte crânienne pour insérer des électrodes directement à l’intérieur, ce qui réduit les atténuations du signal dues à la masse osseuse. Toutefois, les bénéfices peuvent être marginaux et peinent parfois à compenser les différents coûts (émotionnel, économique, temporel) d’une telle opération. C’est là que le projet CEREBRO prend toute sa valeur, en apportant à l’EEG les avantages d’une meilleure observation, sans induire d’opération lourde pour le patient.
CEREBRO : un projet européen Pathfinder
CEREBRO s’inscrit dans le cadre des projets européens Pathfinder du Conseil européen de l’innovation qui portent sur des facteurs d’innovation et potentiellement risqués. Ce type de projet est typiquement expérimental et ne peut être vérifié qu’après des tests. « IMT Atlantique contribue au niveau de la modélisation et la reconstruction de l’imagerie de source », détaille François Rousseau. Adrien Merlini insiste sur la phase initiale du projet CEREBRO qui est en amont. « S’il arrive au bout à démontrer que le produit de contraste recherché est possible, le concept serait alors validé pour passer à la phase suivante. Plus CEREBRO sera proche de la réalisation, plus le projet aura besoin d’un budget conséquent. »
CEREBRO est un projet à long terme qui aura un impact fondamental sur de nombreux domaines en cas de succès. Il est dans la phase initiale de développement de la modalité pour montrer la viabilité du concept. Autrement dit, même en cas de succès au bout de quelques années, il faudrait refaire un projet pour l’emmener à un autre niveau. Cela offre des perspectives prometteuses pour en savoir plus sur l’activité fonctionnelle du cerveau.
CEREBRO : un projet du programme européen « EIC Pathfinder Open »
Le projet CEREBRO (an electric Contrast medium for computationally intensive Electroencephalographies for high REsolution BRain imaging withOut skull trepanation) est financé par le Conseil européen de l’innovation, porté par l’École polytechnique de Turin, et rassemble plusieurs partenaires :
- l’Institut Mines-Télécom
- le CHU de Brest
- l’École polytechnique fédérale de Lausanne
- gtec medical engineering GmbH
Il bénéficie d’un financement de la Commission européenne à hauteur de 2,5 millions d’euros sur 4 ans (de 2022 à 2026).
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Cet article est republié à partir du blog I'MTech.
Lire l'article original : « CEREBRO : vers l’imagerie complète de l’activité cérébrale de manière non invasive »
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par Pierre-Hervé VAILLANT