Communication acoustique sous-marine : plongée dans un domaine aux multiples applications

Avec l’essor des activités humaines en mer, l’acoustique sous-marine trouve une foule d’applications, dans les domaines les plus divers, qui ne demandent qu’à être développées. Une équipe d’IMT Atlantique dispose d’une expertise reconnue sur le sujet.

Communiquer sous la mer

Comment communiquer dans « le monde du silence » ? Comment échanger des messages, des images, voire des vidéos dans les profondeurs de la mer, et si possible sur de longues distances ? Une petite équipe d’IMT Atlantique, à Brest, dispose sur ce sujet d’une expertise reconnue, y compris à l’international.

Équipe TASM
Christophe Laot, Sébastien Houcke et François-Xavier Socheleau

Communiquer sous la mer n’est pas un exercice simple. « Avec les ondes radio, la portée se limite à quelques dizaines de mètres. Seules les ondes acoustiques peuvent parcourir de longues distances sous l’eau - plusieurs dizaines de kilomètres, voire plus sous certaines conditions. Mais avec beaucoup de contraintes et de limitations », explique Christophe Laot, enseignant-chercheur au département Mathematical and Electrical Engineering de l’école et spécialiste de la communication acoustique sous-marine. Le milieu aquatique pose en effet de nombreux problèmes : phénomènes de réflexion ou de « trajets multiples » du signal, interférences, atténuation de l’onde selon la fréquence et la distance… Résultat, transmettre un fichier, même de taille modeste, peut prendre plusieurs secondes. Et pour franchir de longues distances, il faut recourir aux basses fréquences, ce qui implique de diminuer les débits de transmission.

Transmission acoustique sous-marine

De sérieux progrès ont cependant été accomplis ces dernières années. Il est aujourd’hui envisageable de transmettre des images et d’échanger des messages qui s’apparentent à des SMS. En Italie, le CMRE (1), un groupe de recherche de l’OTAN, a standardisé un système qui permet l’interopérabilité entre sous-marins et navires de surface - mais avec un débit limité à la centaine de bits par seconde.

L’équipe d’IMT Atlantique intervient sur des projets variés, le plus souvent en partenariat avec un industriel dans le cadre de thèses ou de contrats d’études. Elle dispose aussi d’une plateforme dédiée, TASM pour « Transmission acoustique sous-marine », labellisée Carnot Télécom et Société Numérique, qui réunit un ensemble d’équipements (transducteurs pour l’émission, amplificateurs de puissance, hydrophones…). De quoi réaliser ses propres tests.

Plusieurs études ont été menées avec DGA-TN (2) et SERCEL pour démontrer la faisabilité de transmission d’images et de texte. Parmi ces projets, une sorte de téléphone sous-marin, qui utilise les ondes acoustiques pour transférer les informations de voix numérisée. Doté d’une portée de l’ordre du kilomètre, il pourrait intéresser les plongeurs mais ce type d’appareil est onéreux. Autre obstacle, les antennes, très encombrantes.

Un système de transmission de vidéos est également à l’étude avec Thalès. « La transmission vidéo, en revanche, reste un défi, observe Christophe Laot. Quelques essais ont été effectués, mais nous ne disposons pas encore d’un système robuste. » Là encore, la portée sera réduite : quelques centaines de mètres seulement. Pour doper le débit, l’équipe envisage de recourir à des dispositifs « multi-antennes » - avec plusieurs dizaines de capteurs. Mais on arrive à des dimensions gigantesques… « Nous progressons, mais il y a des limites physiques, admet l’expert. Multiplier le débit par 10 serait déjà énorme. » Pour l’heure, l’objectif serait de réaliser une « preuve de concept ».

Autre thème de travail, avec Naval Group : la sécurité des communications sous-marines. L’objectif est à la fois de rendre le signal difficilement détectable par une oreille indiscrète mais également de le rendre inexploitable lorsqu’il est intercepté.

Dernier exemple : l’équipe a étudié avec la société Exail Technologies et IFREMER des dispositifs permettant d’améliorer la localisation sous-marine - un défi pour de nombreux acteurs, en l’absence d’un GPS sous l’eau. De quoi, par exemple, suivre avec une grande précision (de l’ordre de quelques centimètres par an) le déplacement des plaques tectoniques.

Repérer les bancs de poissons, surveiller les câbles d’éoliennes, prévoir un tsunami…

Avec l’essor des activités humaines sous la surface de la mer, les besoins de communication se multiplient. L’acoustique sous-marine trouve ainsi une foule d’applications, parfois inattendues, dans de nombreux domaines. Le secteur de la défense est, bien sûr, un des premiers concernés. L’industrie pétrolière utilise également ces technologies, par exemple pour se positionner et localiser les gisements grâce à la tomographie des fonds marins. L’éolien offshore est aussi intéressé par les communications sous-marines, en particulier pour la surveillance des câbles ou des ancrages.

Les applications sont nombreuses aussi pour l’océanographie et le suivi de l’océan. Grâce à l’acoustique sous-marine, les observatoires sous-marins peuvent communiquer des informations sur l’impact du changement climatique sur l’océan, et même de prévoir un tsunami, grâce à des capteurs disposés au fond de l’eau et qui transmettent les informations via une liaison sans fil. L’équipe d’IMT Atlantique a même suivi, avec le SHOM (3) le déplacement des galets dans les zones de fort courant pour étudier les impacts potentiels sur les hydroliennes, Demain, l’exploration des grands fonds fera largement appel aux drones et aux télécommunications sous-marines.

L’acoustique sous la mer vient également en aide aux pêcheurs. Elle leur permet notamment de repérer les bancs de poissons. La société Marport, à Lorient, utilise même une liaison acoustique pour optimiser le positionnement des engins de pêche…
« De façon générale, intervenir sous l’eau reste très compliqué, observe Christophe Laot. La communication y est donc très utile dans une foule de domaines - même si elle n’est pas toujours indispensable. La communication acoustique sous-marine est un sujet en devenir… » L’occasion aussi, lors de « journées portes ouvertes » de l’école, de réaliser des démonstrations assez bluffantes pour les profanes.

  • (1) Centre for Maritime Research and Experimentation.
  • (2) Direction Générale de l’Armement – Techniques Navales
  • (3) Service hydrographique et océanographique de la Marine.
Publié le 21.03.2024

par Fabienne MILLET-DEHILLERIN

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