Comment assurer le suivi des nappes d’eau du sous-sol ? Comment les protéger des diverses sources de pollution ? Quels dispositifs d’alerte mettre en place ? Ces questions font l’objet d’un important projet de recherche européen : NINFA.
Épisodes de sécheresse à répétition, restrictions d’usage de l’eau dans certaines communes : la question de la « santé » des nappes d’eau souterraines est plus que jamais à l’ordre du jour. C’est sur ce sujet que travaille une équipe d’IMT Atlantique, dans le cadre d’un important projet européen de recherche appelé NINFA.
Lancé en novembre 2022 pour une durée de 42 mois, NINFA1 réunit une dizaine d’acteurs - entreprises, centres de recherche et établissements académiques - de 6 pays (France, Espagne, Grèce, Chypre, Italie, Pays-Bas), avec un budget total de plusieurs millions d’euros. L’objectif est de développer des stratégies de surveillance des eaux souterraines, des technologies de prévention et de réduction des pollutions, ainsi qu'un système d'alerte.
L'équipe du DSEE- membre du laboratoire GEPEA UMR CNRS 6144 engagée dans le projet NINFA :
Yves Andrès, coordinateur et responsable, Sary Awad, Claire Gérente et Valérie Héquet, enseignants-chercheurs et Henrietta Whyte, Ingenieur R&D.
Les eaux souterraines sont en effet confrontées à de nombreuses menaces. « Elles subissent diverses pollutions, en particulier par la contamination des eaux de surfaces ou par ruissellement des eaux urbaines lors des orages, indique Yves Andres, responsable du département systèmes énergétiques et environnement (DSEE / GEPEA) d’IMT Atlantique et coordinateur du projet pour l’école. Elles peuvent être contaminées par les pesticides, les produits pharmaceutiques (antibiotiques, notamment), les micro-plastiques… On y retrouve aussi des métaux lourds et des hydrocarbures. Les nappes sont en outre affectées par la surconsommation, liée notamment aux fortes chaleurs dues au changement climatique. » A quoi s’ajoute encore le phénomène de maintien du « biseau salé » le long des côtes : les eaux saumâtres pouvant pénétrer et repousser les eaux douces des nappes littorales…
Des études de cas dans six pays
D’où la nécessité de concevoir des moyens - les moins onéreux possible - de suivi de la qualité de l’eau et de lutte contre les pollutions. C’est la démarche de NINFA, qui vise à proposer « des solutions technologiques innovantes », et à jeter les bases d’un système de gestion des eaux souterraines plus performant - y compris par la réutilisation des eaux usées traitées.
Porté par le LEITAT, un centre de recherche multi-technologies espagnol, le projet s’appuie sur plusieurs études de cas in situ : deux en France et aux Pays-Bas, trois autres en Espagne, et trois autres encore en Egypte, en Colombie et au Mexique.
Une première étape consistera à examiner ce que propose la littérature scientifique et à sélectionner divers procédés, puis à mettre au point des solutions en laboratoire, avant de passer au déploiement sur le terrain, à taille réelle.
L’équipe d’IMT Atlantique est plus particulièrement chargée de coordonner la présentation des études de cas et d’établir un cadre de travail. Elle devra ainsi réunir les spécifications des études de cas, collecter et compiler les données collectées sur le terrain, proposer une méthodologie de suivi avec des indicateurs clés, et réfléchir aux solutions et aux modèles… Les chercheurs devront ainsi répondre à de nombreuses questions : quel procédé de traitement choisir ? Avec quelle stratégie de mesure ? Quel indicateur utiliser pour les résidus pharmaceutiques, par exemple ? Comment valider tel ou tel procédé ? Le risque étant que certains polluants passent à travers les mailles du filet…
Les chercheurs du DSEE/GEPEA travaillent aussi sur d’autres questions, comme l’élimination de certains polluants spécifiques et son optimisation à l’échelle du laboratoire.
Associer plusieurs procédés de traitement
« De façon générale, la piste qui apparaît aujourd’hui comme la plus prometteuse est celle de la combinaison de différents procédés, souligne Yves Andres. Ainsi, pour traiter les effluents des stations d’épuration, on peut utiliser le charbon actif associé à l’oxydation avancée et à une filtration lente. Mais comment combiner ces trois procédés ? Dans quel ordre les mettre en oeuvre ? Pour chaque opération, nous devrons choisir la plus performante, selon les polluants que l’on désire traiter. » Les effets de ruissellement, en outre, seront « traités » avant les phénomènes d’infiltration.
« NINFA repose sur une démarche très multidisciplinaire, qui débouche sur une vision systémique du sujet », poursuit le chercheur. Le projet fait en effet appel au numérique (notamment pour la modélisation des nappes phréatiques), à la chimie, à la physique et à la biologie (pour les procédés mis en oeuvre)… Le projet comporte également un volet dédié aux sciences humaines et sociales (SHS), avec la réutilisation des eaux usées et son acceptation par la population.
Autre intérêt du projet, sa forte dimension internationale : elle permet d’aborder des problématiques très variées, liées aux situations locales, autour des eaux souterraines. Et d’avoir un aperçu de la façon dont ces questions sont traitées dans les différents pays. « Au plan technologique, la France n’est pas en retard sur le sujet, estime Yves Andres. Mais nous avons un problème de mise en oeuvre des mesures adéquates notamment pour ce qui concerne la réutilisation des eaux usées traitées. D’autres pays comme l’Espagne ou les Pays-Bas, pour des raisons historiques ou liées à la géographie, sont plus sensibilisés à la réutilisation des eaux usées ou au suivi et à la protection de leurs nappes souterraines. » Pour l’heure, le projet n’en est encore qu’au tout début : les premiers protocoles ne seront pas déployés avant cet été ou le début de l’automne chez les différents partenaires.
(1) TakiNg actIoN to prevent and mitigate pollution oF groundwAter bodies.
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par Fabienne MILLET-DEHILLERIN