Elaborer un outil innovant de gestion des plannings des personnels hospitaliers, en y intégrant notamment les conditions socio-organisationnelles : c’est le projet auquel travaille une équipe interdisciplinaire d’IMT Atlantique. De quoi améliorer la satisfaction des équipes soignantes, mais aussi la qualité des soins.
Dans le débat actuel sur l’hôpital, un sujet est plutôt passé jusqu’alors « sous le radar » : celui de la gestion des plannings des équipes de soin - et en particulier des quelque 700.000 infirmier(e)s et aides-soignant(e)s. Ces plannings jouent pourtant un rôle clé dans le fonctionnement des établissements hospitaliers. Une équipe d’IMT Atlantique se penche sur la question, dans le cadre d’un projet de recherche baptisé OptiHSoins (Optimisation plus Humaine des plannings des établissements de Soins). Objectif : mettre sur pied un outil logiciel innovant, qui facilite la gestion de ces plannings, en y intégrant les contraintes pratiques que rencontrent les personnels soignants, mais aussi les aspects humains et les spécificités de leur mission. De quoi, in fine, obtenir un triple bénéfice : permettre aux cadres de santé de se consacrer davantage à leurs équipes ; améliorer la qualité de vie au travail et la cohésion des effectifs ; et contribuer à la qualité des soins.
Une dizaine de chercheurs et trois hôpitaux
OptiHSoins est un projet interdisciplinaire, qui fait collaborer les équipes de deux départements de l’école : des experts en Recherche Opérationnelle (1) du Département automatique, productique et informatique (DAPI)- Laboratoire LS2N et des spécialistes en sociologie-gestion du Département interdisciplinaire de sciences sociales (DI2S)- laboratoires LEMNA et CENS. Parmi les autres partenaires académiques, il convient de citer l’Université d’Angers via le Laboratoire Angevin de Recherche en Ingénierie des Systèmes (LARIS) en collaboration avec l’Université Catholique de l’Ouest et le Groupe de Recherche Angevin en Économie et Management (GRANEM), ainsi que l’ Université de Tours via le Laboratoire d'Informatique Fondamentale et Appliquée de Tours (LIFAT). Soit une dizaine d’enseignants-chercheurs au total auxquels s’ajoutent quelques doctorants et post-doctorants . Trois hôpitaux (Nantes, Tours et Angers) sont partenaires du projet. Démarré en janvier 2024 pour une durée de 4 ans, OptiHSoins bénéficie d’un financement par l’ANR de 455.000 euros.
Odile Bellenguez, Michel Devigne, Romain Lonceint et Sarah Ghaffari
De très nombreux paramètres à prendre en compte
« A l’hôpital, l’élaboration des plannings s’avère particulièrement délicate, souligne Odile Bellenguez, professeure au DAPI et l’une des chefs de file du projet. Il faut assurer les soins en continu 24 heures sur 24 et maintenir leur qualité, mais aussi tenir compte de la très grande diversité des missions et des statuts, respecter le budget alloué… et faire face constamment à des imprévus. Cette multitude de paramètres augmente fortement la complexité « mathématique » de la tâche pour les cadres. »
« Sans compter que certains soignants, déçus par le manque de reconnaissance de leur travail, ont tendance à moins sacrifier que par le passé leur vie personnelle, ajoute Sarah Ghaffari, enseignante chercheuse au DI2S. Si on ajoute à cela des conditions d’emploi difficile, et un manque chronique d’agents, la moindre absence, le moindre départ devient un casse-tête pour le cadre de santé pour limiter les perturbation dans l’organisation du travail. Résultat, les plannings mobilisent en permanence l’encadrement, qui ne parvient plus à accompagner les équipes. » Quant aux logiciels de gestion du temps ou aux tableurs de type Excel disponibles sur le marché, ils ne tiennent pas compte des contraintes personnelles - le parent qui doit récupérer son enfant après l’école, par exemple - ni des préférences individuelles en matière d’horaires, de congés…
Dans chaque service de l’hôpital, un planning général pour l’année est élaboré et validé avec les syndicats, puis décliné mois après mois. Mais dans la pratique, l’essentiel se règle au jour le jour, en composant avec les absences et les imprévus. Quitte, parfois, à fonctionner en sous-effectif. « Selon les cas, les professionnels font appel à des suppléants désignés à l’avance, ou sollicitent des collègues en congé, explique Odile Bellenguez. Chaque hôpital a ses propres règles. » Au CHU de Nantes, un dispositif appelé « hublot » permet ainsi de disposer d’un volant de volontaires pour des remplacements. Chaque établissement est doté en outre d’un dispositif de crise, le « plan blanc », qui lui permet de mobiliser rapidement des moyens variés en cas d’afflux de patients ou face à une situation sanitaire exceptionnelle.
Le règne de la « débrouille »
L’hôpital ne fonctionne ainsi qu’au prix d’une gymnastique quasi-permanente, à tous les niveaux. « Au quotidien, la question du planning est constamment présente en toile de fond », résume Sarah Ghaffari.
Pour atteindre ses objectifs, OptiHSoins dispose d’une feuille de route assez balisée. La première phase du projet est celle du diagnostic, réalisé par les chercheurs en SHS. Au programme, séances d’observation in situ, entretiens approfondis avec des acteurs - notamment avec une dizaine de cadres… L’étape suivante, qui mobilisera les deux départements, consistera à bâtir des modèles intégrant ces constats de terrain. Après quoi l’équipe RO se chargera d’élaborer un outil de gestion des plannings flexible, adaptable à différents services hospitaliers. Le tout sera réalisé en liaison étroite avec les personnels hospitaliers. « Le résultat devra être intelligible par tous, ajoute Odile Bellenguez. Il faut que les personnes concernées comprennent pourquoi telle ou telle organisation a été choisie. » Comme le note Sarah Ghaffari, « l’outil ne doit pas devenir une boîte noire dont on ignore tout. Le personnel doit garder la main. » Au final, il ne s’agira pas de livrer un « produit fini » et commercialisable, mais une « preuve de concept » dont les éditeurs de logiciel pourront se saisir.
L’impératif de l’équité
Déjà, la démarche d’OptiHsoins fait ressortir un certain nombre de points clés. Premier d’entre eux, l’imbrication étroite entre l’humain - avec ses habitudes, ses envies, ses projets… - et les questions « techniques » ou réglementaires dans la conception des plannings. Autre élément à prendre en compte, la multiplicité des tâches, parfois insoupçonnées, qui incombent aux soignants, chacune d’elles pouvant gripper la machine.
Enfin, il y a l’importance de la notion d’équité. « Chaque soignant doit pouvoir bénéficier de la reconnaissance de ses propres contraintes - aller chercher ses enfants à l’école ou s’occuper d’un parent âgé, par exemple, souligne Sarah Ghaffari. En la matière, les priorités varient d’un individu à l’autre. Sans compter que les mentalités évoluent : les avantages liés à l’ancienneté, notamment, sont souvent remis en cause. Pour qu’un planning soit accepté par tous, il faut qu’il soit jugé équitable. »
Or cette « acceptabilité » du planning et sa mise en oeuvre harmonieuse consituent un facteur clé de la qualité de vie au travail et de la cohésion des équipes. Au final, elle influe donc fortement sur l’efficience de l’établissement et sur la qualité des soins dispensés. La gestion du planning représente ainsi un enjeu majeur pour l’hôpital. Elle lui offre une piste sérieuse de progrès, à l’heure où se pose la question de la « santé du futur ».
Le projet s'inscrit ainsi dans la logique de l'optimisation, une thématique présente dans toutes les disciplines et sur laquelle le CNRS a choisi de mettre l’accent en 2024 (2). OptiHSoins sera en outre présenté le 18 octobre prochain au CHU de Nantes, à l’occasion du 4ème colloque paramédical de la recherche et de l’innovation en santé
- La Recherche opérationnelle (RO) désigne l’ensemble des méthodes et techniques orientées vers la recherche du choix optimum en vue d’aboutir à un résultat. Il s’agit d’une discipline qui se situe à la frontière des mathématiques appliquées et du management de l'information. Elle s’inscrit dans le champ de l’aide à la décision.
- L’optimisation : au cœur des défis des sciences informatiques
par Fabienne MILLET-DEHILLERIN