Les promesses des réacteurs nucléaires « à sels fondus »

Le laboratoire SUBATECH poursuit des recherches sur un nouveau type de réacteur nucléaire « de 4ème génération », le réacteur « à sels fondus » (RSF) qui pourrait offrir plusieurs avantages : sûreté accrue, meilleure gestion des déchets radioactifs… SUBATECH participe notamment à différents projets dédiés à ces RSF.

Quel réacteur nucléaire pour demain ?

Quelle technologie sera la plus à même de contribuer à l’approvisionnement en énergie du pays, tout en offrant un maximum de garanties en termes de sûreté comme de gestion des déchets ? À l’heure où la relance de la filière nucléaire est à l’ordre du jour, ces questions se posent avec acuité.

Un modèle semble tenir la corde aujourd’hui : le réacteur « à sels fondus » (RSF). Une technologie sur laquelle travaille, depuis 2015, Lydie Giot, enseignante-chercheur au laboratoire SUBATECH (1), placé sous la triple tutelle du CNRS, de Nantes Université et d’IMT Atlantique. Spécialiste des questions de sûreté nucléaire liées à la puissance résiduelle, Lydie Giot est aussi experte auprès de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) et de la NEA (Agence pour l’Energie Nucléaire de l’OCDE).

L. Giot

Ce RSF appartient à la « 4ème génération » des réacteurs nucléaires. Celle qui devrait succéder aux modèles graphite/gaz (1ère génération, en cours de démantèlement), aux réacteurs à eau pressurisée ou bouillante (2ème génération, la plus répandue dans le monde), et aux EPR (3ème génération - en réalité, une évolution de la précédente).
« Ce concept de « 4ème génération », qui marque une vraie rupture technologique, n’est pas nouveau, indique Lydie Giot. Il a été imaginé en laboratoire dès les années 1960 aux Etats-Unis, mais laissé de côté faute de financement. » Principale caractéristique de ce type de réacteur : le combustible est dissous dans des sels fondus. Différentes variantes sont à l’étude, selon le type de sel (fluorure, chlorure), le recours à un élément modérateur comme le graphite (modèle « à neutrons thermiques ») ou non (réacteur « à neutrons rapides »), ou le combustible utilisé (235U, plutonium, 233U ou 241Am …).

Possibilité de vidanger le réacteur

Par rapport aux autres familles de réacteurs, le RSF dispose de sérieux atouts. D’abord, son « carburant » (la matière fissile), mélangé à des sels, se trouve à l’état liquide, et donc homogène : de quoi simplifier sa préparation. Et surtout, en cas d’accident, il serait possible de vidanger le coeur du réacteur dans un réservoir, ce qui éviterait le risque de dissémination. Enfin, le RSF peut utiliser une large gamme de combustibles - et notamment ce qui est produit dans d’autres types de réacteurs (plutonium, neptunium, américium…). De quoi peut être résoudre (en partie) la question des déchets à très longue vie.

Moins de risques d’explosion et de prolifération, meilleure utilisation des ressources, déchets du parc nucléaire actuel plus faciles à gérer : le RSF a de quoi séduire. Mais ce type de réacteur est loin d’être encore mature pour un déploiement industriel. Il n’existe à ce jour que « sur le papier » : sa sûreté n’a donc pas été démontrée, et le risque ne peut être quantifié avec précision - même si de nombreux travaux sont actuellement conduits sur ce sujet, avec différents scénarios. Un challenge technologique majeur réside dans la tenue des matériaux (nouveaux) sous irradiation.

Autrement dit, il faudra encore de longues études avant qu’un premier RSF soit expérimenté. « Cela prendra sans doute à minima une quinzaine d’années, estime Lydie Giot. Tout dépendra des moyens financiers mis en place. » Restera ensuite à développer une filière industrielle. Bref, les défis à relever sont nombreux. En attendant, les réacteurs à sels fondus suscitent déjà assez d’espoirs pour que plusieurs dizaines de start-ups dans le monde (aux Etats-Unis, au Canada, en Chine…) s’y intéressent. En France, la société Naarea compte même présenter dès 2030 un premier prototype de mini-réacteur RSF, d’une capacité de 15 MW.

Un projet européen sur la sûreté des RSF

SUBATECH, de son côté, participe à plusieurs initiatives dédiées aux RSF. Ainsi SAMOSAFER, un projet européen lancé en 2019, qui vise à élaborer de nouveaux outils de simulation et d’évaluation concernant la sûreté de ces réacteurs. Piloté par l’Université de Delft, aux Pays-Bas, SAMOSAFER réunit une quinzaine de partenaires (dont le CNRS, l’IRSN (2), Framatome, le CEA (3) et EDF) de sept pays. « Il s’agit notamment de développer de nouveaux outils d’évaluation et de simulation pour la sûreté», explique Lydie Giot qui travaille en étroite collaboration avec le Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie (LPSC) de Grenoble. L’équipe de SUBATECH est chargée d’évaluer « le terme source » (ce qui serait relâché en cas d’accident) et de coordonner les calculs menés par les différents partenaires. Les derniers résultats sont attendus en juin prochain.

Autre projet européen, MIMOSA vise à mettre au point une stratégie optimisée pour le multi-recyclage du plutonium. Le RSF permet, en effet, d’utiliser comme combustible des matières nucléaires aujourd’hui considérées non valorisées et notamment le plutonium issu du retraitement. De quoi réduire à la fois la durée de vie et la quantité de combustible usé produit dans les centrales. Piloté par Orano, MIMOSA réunit 14 partenaires de plusieurs pays, dont SUBATECH.

Quant à ISAC (Innovative System for Actinide Conversion), il s’agit d’un nouveau projet lancé dans le cadre du plan France Relance 2030. Coordonné par le CEA, il réunit de nombreux acteurs de la filière nucléaire française - parmi lesquels Orano, Framatome, EDF et le CNRS avec IJClab, le LPSC et SUBATECH- autour du réacteur à sels fondus. Objectif : étudier le recyclage, dans les RSF, d’actinides mineurs (i.e. déchets radioactifs) comme l’américium produits dans les réacteurs à eau pressurisée. Une solution qui permettrait de réduire, au final, l’inventaire des déchets à stocker. SUBATECH est notamment chargé des études sur la puissance résiduelle, … « C’est une voie originale, avec plusieurs options de conception, et qui pourrait offrir d’intéressantes perspectives » assure Lydie Giot, qui estime qu’« un démonstrateur ou un premier projet industriel pourrait voir le jour à l’horizon de 15 ou 20 ans. »

(1) Laboratoire de Physique SUBAtomique et TECHnologies associées.
(2) Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
(3) Commissariat à l’énergie atomique.

 

Publié le 21.03.2023

par Fabienne MILLET-DEHILLERIN

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