La réalité virtuelle au secours de la formation professionnelle

Julien Cauquis, doctorant à IMT Atlantique, termine une thèse consacrée aux apports de la réalité virtuelle pour l’apprentissage de gestes techniques. Des travaux qui ouvrent des perspectives pour certaines applications de formation professionnelle. Et qui lui ont déjà valu d’intervenir lors d’un symposium international de premier plan sur la « VR », à Orlando, en Floride.

Améliorer l’apprentissage des gestes techniques grâce à la réalité virtuelle

Comment améliorer l’apprentissage des gestes techniques grâce à la « VR » - autrement dit, la réalité virtuelle ? Tel est, résumé en quelques mots, le sujet de la thèse que prépare un jeune doctorant du département informatique d’IMT Atlantique, Julien Cauquis, ingénieur diplômé des Arts & Métiers. Un travail qui devrait lui permettre de formuler des recommandations pour des applications dédiées à la formation professionnelle.
« En formation continue, la réalité virtuelle présente de nombreux avantages, explique-t-il. Elle permet de répéter des gestes à l’infini ; on peut contrôler tous les éléments, mesurer différents paramètres - comme l’épaisseur d’une couche de peinture - le tout en toute sécurité. » Sans compter qu’elle permet d’éviter certaines situations problématiques : en chirurgie, par exemple, plus besoin d’utiliser des cadavres pour s’exercer…
Pour enseigner le maniement d’un outil dans le monde virtuel, on peut reproduire à l’identique l’outil original ou, selon les cas, se contenter d’une réplique approximative, mais « instrumentée » - c’est-à-dire munie de capteurs, de boutons de commande… Mais comment designer cette réplique ? De nombreux facteurs - sa forme, sa couleur, le matériau utilisé - sont en effet susceptibles d’influer sur la qualité de l’apprentissage.  

Comment designer un outil virtuel

Julien Cauquis, lui, s’intéresse particulièrement à la question de la masse de cet outil virtuel : a-t-elle un impact (et lequel ?) sur la perception et le « ressenti » de l’apprenant - et donc sur l’efficacité de la formation ? Pour le savoir, une expérience a été conduite avec un échantillon de 80 participants, répartis en trois groupes utilisant respectivement une réplique de masse identique, inférieure ou supérieure à celle de l’outil original. Ces trois groupes ont été confrontés à des tâches « basiques » : poncer, couper ou percer une pièce. D’autres essais ont été effectués avec des échantillons moins nombreux. Au final, les résultats obtenus se sont avérés « comparables » quelle que soit la masse de la réplique. Ils ont également fait apparaître des améliorations significatives, lors d' un apprentissage « en réel », sur certaines mesures de performance comme la rapidité d’exécution. Même si ces résultats restent nuançables, de par la nature des tâches effectuées. 
Julien Cauquis a été invité à présenter ces résultats en mars dernier à Orlando, en Floride, lors de l’IEEE VR, un symposium international de premier plan dédié à la réalité virtuelle. « Une expérience très enrichissante, qui permet d’échanger avec des spécialistes du monde entier », relève-t-il. Ses travaux ont également fait l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue TVCG (Transactions on Visualization and Computer Graphics), une référence au plan mondial sur le sujet.
Julien Cauquis s’est également penché sur le guidage des gestes techniques. « Pour enseigner un geste en VR, on peut le montrer en temps réel, à distance, et aider l’apprenant avec une jauge, explique-t-il. Mais en procédant ainsi, on génère une dépendance à cette aide : quand on la retire, l’apprenant ne sait plus reproduire le geste exact… »

Des applications potentielles pour la chirurgie, l’artisanat, l’industrie…

Julien Cauquis, doctorant en réalité virtuelle

Les travaux de Julien Cauquis pourraient s’appliquer à de nombreux domaines - à commencer par la formation à des gestes plus techniques ou plus complexes. Ils pourraient ainsi concerner la santé, et notamment la chirurgie, ou encore l’artisanat. « On peut ainsi imaginer de conserver certains savoir-faire manuels ou des « tours de main » traditionnels, par exemple pour la poterie ou l’ébénisterie, qui ont tendance à se perdre, indique Julien Cauquis. Ces compétences pourraient être accessibles dans les médiathèques. » La VR permet en effet de « stocker » des expériences et des sensations, puis de les transmettre à volonté. Idem dans l’industrie, où des savoir-faire précieux disparaissent souvent avec le départ de certains experts. Ce n’est pas tout : la VR est aussi très prometteuse pour l’apprentissage de la musique - même si elle ne permet pas d’assimiler les secrets du génie artistique…

Verrous technologiques

« Nous n’en sommes encore qu’au tout début, estime Julien Cauquis. La réalité virtuelle est un domaine encore neuf, qui vise à reproduire et à transmettre des expériences sensorielles. Pour cela, elle cherche à simuler les 5 sens. Pour la vue ou l’ouïe, cela fonctionne bien. Mais pour le toucher, l’odorat ou le goût, les verrous technologiques sont encore nombreux. »
Une autre barrière actuelle réside dans la puissance informatique nécessaire et sa miniaturisation. Les casques de réalité virtuelle, de même que les lunettes de réalité augmentée proposés par les géants du numérique restent encombrants et peu ergonomiques, en dépit de performances impressionnantes. Sans parler d’autres contraintes comme celle des batteries. Mais les choses avancent vite…
« De façon générale, la VR est un domaine très transverse, note Julien Cauquis. Elle fait appel à des disciplines variées : le numérique et la programmation bien sûr. Mais aussi la psychologie, la bio-mécanique, les neuro-sciences et les mécanismes de la perception… » 
Julien Cauquis devrait achever dans quelques mois la rédaction de sa thèse. Pour l’heure, il se partage entre le campus d’IMT Atlantique à Brest et les locaux lavallois de son employeur, Clarté, un centre de ressources technologiques spécialisé dans la réalité virtuelle, avec lequel il a signé un contrat Cifre (1), et qui a vocation à faire le lien avec le monde industriel.
Et ensuite ? A priori, le jeune thésard n’envisage pas de poursuivre une carrière de chercheur. « Je suis d’abord ingénieur, souligne-t-il. J’aime répondre à un besoin d’ordre technique, si possible tourné vers la production. » S’expatrier quelques années aux Etats-Unis, où se trouvent la plupart des grands acteurs de la réalité virtuelle ? Il n’y songe pas pour le moment et espère que ses travaux susciteront de l’intérêt en France.

(1) Convention industrielle de formation par la recherche. 

Publié le 27.11.2024

par Fabienne MILLET-DEHILLERIN

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