Une part croissante des travaux de recherche menés dans les écoles et universités se finance grâce à des appels à projet européens, souligne Julien Prudhomme, chargé de mission Europe à IMT Atlantique. Une évolution qui a des conséquences sur les pratiques des chercheurs pour obtenir des budgets conséquents.
Depuis 1984 et les premiers pas de l'Europe de la recherche, les chercheurs ont pris peu à peu l'habitude de répondre à des appels à projet lancés par l'UE dans le cadre de programmes pluriannuels.
Aujourd'hui, ce mouvement s'accélère : l'Europe est de plus en plus présente dans le pilotage de la recherche pour l'innovation. C'est elle qui, bien souvent, choisit les projets en fonction de ses « roadmaps » internes, attribue les financements ad hoc et, in fine, décide des grandes orientations stratégiques pour une recherche centrée sur l'impact et le monde socio-économique.
Julien Prudhomme, chargé de mission Europe à IMT Atlantique
De plus en plus collaborative
Certes, il est toujours possible de monter une équipe et de trouver à se financer à l'échelle locale ou nationale - notamment via l'ANR (Agence Nationale de la Recherche). Mais, la France souhaite stimuler la participation des institutions françaises aux programmes européens. Les taux de succès français sont bons mais ne compensent pas la faiblesse relative des dépôts. La France continue d'avoir un taux de retour négatif (ratio contribution au budget communautaire/budget issu des projets). L'Europe est donc affichée comme un objectif à tous les niveaux.
Par exemple, à IMT Atlantique, en 2020, 3 nouveaux projets de recherche dont une coordination s'inscrivaient dans un contexte européen. A la fin de 2021, ils étaient 8 sélectionnés par les experts de la Commission Européenne. Et cette année, ce sont 5 projets supplémentaires au total qui seront financés par ce canal. Ces 13 nouveaux projets 2021-2022 représentent à eux seuls une recette totale de plus de 3,7 millions d'euros pour IMT Atlantique.
D'abord, la recherche devient de plus en plus (extra) collaborative : pour être éligible, chaque projet doit comporter au moins 3 partenaires - mais en général, on en dénombre une dizaine, et parfois jusqu'à une cinquantaine - de plusieurs pays.
Accent sur l'innovation
Seuls les projets pilotés par l'European Research Council (ERC) échappent encore à cette logique : il s'agit de travaux de recherche très exploratoires accordés à un chercheur d'excellence, et destinés à bâtir une équipe au sein d'un établissement. Mais ils ne représentent qu'une petite partie (17 %) - des programmes européens.
Ensuite, la Commission entend mettre l'accent sur l'innovation - visant systématiquement la réponse à des problèmes sociétaux et industriels. Le programme « Horizon Europe » (2021 à 2027) étend le mouvement déjà largement amorcé sous Horizon 2020 (2014-2020) et se focalise donc sur une recherche « applicative », d'impact et valorisable. Aussi appuie-t-elle systématiquement des projets qui réunissent des acteurs venus de divers horizons - écoles ou universités, mais aussi du monde socio-économique.
La Commission a découpé la partie de son programme destinée aux défis sociétaux et industriels en 6 « piliers », entre lesquels les budgets sont répartis de façon assez équilibrée : la santé ; la société inclusive (avec notamment l'apport des sciences humaines et sociales) ; la sécurité et la cybersécurité ; le numérique et l'IA, l'industrie, l'espace ; le climat, l'énergie et la mobilité ; les bio-ressources, l'alimentation et l'environnement.
Industrie du futur
Chacun de ces « piliers » regroupe plus d'une centaine d'appels à projet, de plus en plus prescriptifs soit quelque 600 à 800 possibilités d'appels à projet en tout. Certaines thématiques comme le changement climatique ou l'efficacité énergétique, considérées comme prioritaires, peuvent être rattachées à plusieurs catégories.
Autre tendance forte : l'attention portée à la dimension « humain-centrée » des projets. C'est le cas en particulier des projets liés à l'industrie du futur ou de ceux qui concernent la médecine personnalisée par exemple. La recherche apparaît ainsi comme un outil permettant de mettre en oeuvre la stratégie à long terme de l'Union.
Pour obtenir des financements européens, les équipes de recherche doivent donc s'adapter à cette approche. En s'attachant d'abord à répondre aux appels à projet (à la frontière de l'appel d'offres) plutôt que monter des dossiers « ex nihilo », sur les sujets de leur choix. Il leur faut pour cela apprivoiser les procédures, les habitudes, le langage des institutions européennes et le dimensionnement des projets européens.
Mécanique européenne
Certes, dans un premier temps, ce mode de fonctionnement peut paraître fastidieux. Il faut rédiger des notes collaboratives, participer à des réunions… Compter 3 à 4 mois pour monter un bon dossier. Mais ce travail peut s'avérer très… payant. Quant à l'exécution des projets, la Commission prévoit d'en simplifier le déroulement et d'en réduire le coût, tout en laissant une plus grande latitude aux équipes.
Pour le reste, les chercheurs peuvent, dans un premier temps, se contenter d'une simple participation à un projet, afin de se familiariser avec la mécanique européenne. Une fois qu'ils seront bien implantés et reconnus, ils pourront alors s'impliquer davantage et prendre un rôle plus actif, voire coordonner un consortium. Ils peuvent en outre être accompagnés et conseillés dans leurs démarches par un spécialiste des projets européens. Autrement dit, il leur faut « s'acculturer » à l'Europe et à son fonctionnement.
Les chercheurs, au demeurant, ne sont pas les seuls concernés : c'est l'ensemble de l'institution - école ou université - qui doit désormais s'intéresser aux mécanismes européens, et se mettre à l'heure de l'Europe.
Tribune parue dans Les Echos - Opinion du 28 nov. 2022
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par Pierre-Hervé VAILLANT