Organisation, sécurité et performance industrielle : la chaire RESOH prolongée pour 5 ans

Dédiée aux questions de « performance industrielle sûre », notamment dans le nucléaire, la chaire RESOH d’IMT Atlantique bénéficie d’un troisième bail de cinq ans avec Naval Group, et le CEA pour nouveau partenaire. Explications de sa responsable, Stéphanie Tillement, enseignante-chercheure en sociologie.

La chaire RESOH, « Recherche en Sécurité, Organisation, Hommes », portée par IMT Atlantique, vient d’être reconduite pour une troisième phase de 5 ans. De quoi traite-t-elle?

Deux partenaires, Naval Group et le CEA (1), se sont en effet engagés pour une durée de 5 ans - jusqu’à fin 2028, donc. Et il est possible qu’un troisième partenaire nous rejoigne par la suite. RESOH est une chaire de recherche et d'enseignement, qui étudie les relations entre organisation du travail, maîtrise industrielle et sécurité dans les industries à risques - en particulier le secteur nucléaire. La sécurité n’est pas abordée de façon isolée, mais en lien avec les enjeux de performance industrielle (les fameux ‘coût, délais, qualité…). D’où l’émergence du concept de « performance industrielle sûre ». Comment et dans quelle mesure est-il possible, dans le travail au quotidien et dans la durée, de maintenir voire d’améliorer la performance et, conjointement, de maitriser les risques ?
Par ailleurs, la recherche a montré que c’est souvent aux interstices au sein et entre organisations que se joue la sécurité. Notre approche est donc relationnelle, avec une attention portée à la qualité des interactions, entre groupes professionnels, entre organisations (donneur d’ordre et sous-traitants notamment) mais aussi entre exigences. Quels arrangements soutiennent la coordination, quels outils, dispositifs, équipent ou entravent cette coordination?

La chaire a été lancée en 2012 avec Orano, Naval Group et l’IRSN (2), et rejointe par l’Andra en 2017. À quoi attribuer cette longévité ?

C’est plutôt à nos partenaires de répondre… Pour ma part, j’observe qu’il y a une forte actualité sur les sujets que nous traitons. Notre positionnement spécifique joue aussi : peu de chaires abordent ces questions sous l’angle de l’organisation du travail. Quant aux travaux sur la sécurité, beaucoup se focalisent sur la gestion de crise.

Quelle est la « ligne directrice » de vos travaux ?

Nous défendons l’idée que la sécurité se joue dans « l’ordinaire » des situations de travail. Elle repose d’abord, au quotidien, sur la capacité des organisations à « prendre soin » d’elles-mêmes et de l’existant : les travailleurs, bien sûr, mais aussi les machines, les équipements, les infrastructures… En dépit de l’accent souvent mis sur l’innovation et la « nouveauté », la sécurité comme la performance reposent en grande partie sur la consolidation de procédés et pratiques robustes et éprouvés. La maintenance joue donc un rôle très important. Cela rejoint le propos d’un ouvrage récent, « Le soin des choses » (3), rédigé par des collègues des Mines Paris-PSL et du CNRS. Nous essayons de comprendre comment la sécurité s’ancre dans le fonctionnement quotidien - ce qui constitue parfois une énigme pour les industriels, et comment l’organisation permet - ou pas - de « prendre soin », des « choses » et des hommes. Les deux vont de pair. Nous faisons l‘hypothèse que les pratiques de soin soutiennent la performance et la sécurité, mais qu’elles peuvent être fragilisées par des transformations des organisations et du travail, telles que des formes de bureaucratisation ou de complexification des organisations, beaucoup discutées aujourd’hui. Qu’en est-il ? Est-ce objectivable, quels en sont les sources, les effets, les limites ?

Stéphanie et Geoffrey de la chaire Resoh 3
Stéphanie Tillement et Geoffrey Leuridan

Par rapport aux deux premières phases de la chaire, qu'apporte RESOH 3 ?

Entre 2012 et 2022, nos travaux s’organisaient autour de trois thématiques : la gestion des projets complexes, le pilotage des liens de sous-traitance, et les relations entre contrôleurs et contrôlés. Pour cette troisième phase, la dimension organisationnelle reste centrale, avec un accent sur le sujet des compétences.

Vos travaux sont-ils liés à l’actualité? Ou davantage orientés vers la théorie ?

Nous intégrons naturellement les préoccupations des partenaires industriels - et donc l’actualité de la filière nucléaire. Les suites de l’accident de Fukushima, les interrogations liées à la relance du nucléaire sont au cœur de nos réflexions, de même que les retours d’expérience sur les projets EPR ou sur la maintenance et la prolongation des centrales. Les enjeux climatiques, de souveraineté et de réindustrialisation sont également de plus en plus présents. Tout cela soulève de nouvelles questions. Celle, par exemple, de la multitude de types de sécurité à assurer conjointement (sûreté nucléaire, sécurité au travail, sécurité environnementale ou d’approvisionnement, pour en citer quelques-unes), et partant, du développement de situations de cumul de risques, requérant de nouveaux arbitrages (éviter la « sur-sûreté », ou la prise en compte d’un type de sécurité au détriment des autres).
Autre grand sujet sur lequel nous nous penchons, celui du maintien des compétences et du tissu industriel. Comment réapprendre des compétences qui ont été perdues - parfois sans qu’on en ait conscience ? Cela concerne tant les compétences métiers (soudure, ingénierie…) que les compétences transverses (gestion de projet, par exemple). Comment  attirer et former les nouveaux entrants, qu’ils soient opérateurs, techniciens ou ingénieurs ? Comment maintenir et adapter les savoirs ? Nous nous interrogeons aussi sur l’articulation entre les dispositifs de gestion des ressources humaines (GRH), souvent très centrés sur l’individu, et une approche plus collective et dynamique des compétences, centrée sur l’organisation du travail et les métiers.

Vos travaux déboucheront-ils sur des préconisations pour les acteurs de la filière?

RESOH est une chaire de recherche. Nous ne sommes pas des consultants. Notre but n’est pas de formuler des recommandations génériques ou prescriptions, mais de tirer des enseignements à la fois contextualisés et généralisables, utiles pour les membres de la chaire et pour les acteurs de la filière. Nous voulons d’abord créer de la connaissance et contribuer aux débats scientifiques. Mais la question de l’appropriation des résultats de recherche par nos partenaires, aux niveaux stratégique et opérationnel, est importante. D’où l’ambition de nous engager avec les partenaires dans l’élaboration de dispositifs permettant de tirer parti des enseignements de la chaire, dans le sens d’une plus grande robustesse et résilience des pratiques et organisations. Ces dynamiques de co-construction et d’apprentissage croisé participent de l’appropriation, mais supposent un engagement fort et constant des chercheur.es comme des partenaires.

Vos travaux pourraient-ils concerner d’autres secteurs industriels que le nucléaire?

On évoque parfois le caractère exceptionnel du nucléaire : plus complexe, à hauts risques, inscrit dans des temps très longs... Mais notre démarche pourrait effectivement s’appliquer à d’autres secteurs. On peut penser au secteur aéronautique, qui présente un certain nombre de similitudes : projets complexes, haut niveau de technicité, enjeu stratégique pour le pays, nombreux sous-traitants, sujet clé des compétences… On peut aussi citer des secteurs comme le spatial, la construction, ou encore la santé.

De quels moyens humains et financiers disposera la chaire ?
 
La chaire s’appuie sur deux enseignants-chercheurs du département « Sciences sociales et de gestion » d’ IMT Atlantique, Geoffrey Leuridan et moi-même. Un collègue de l’IAE de Lille, Frédéric Garcias, est également associé à la chaire. Nous prévoyons de recruter deux doctorants, ainsi qu’un ingénieur de recherche. Pour cela, nous disposons d’un budget total de 800.000 euros sur cinq ans.

Les travaux de la chaire ont-ils des retombées pour les élèves ?

Oui, à deux niveaux. La formation des élèves ingénieurs est un des sujets brûlants - surtout à l’heure de la relance de la filière nucléaire. L’école est très présente sur ce sujet, notamment avec le laboratoire SUBATECH (UMR 6457). Nos travaux contribuent aux enseignements dispensés à IMT Atlantique - en particulier sur le nucléaire. De leur côté, nos partenaires sont associés aux formations - via la conception commune de modules d’enseignement, ou par des interventions directes dans les cours. Sans compter que ces cours peuvent évoluer vers la formation continue… et participer de l’appropriation des travaux de recherche !

(1) Commissariat à l’énergie atomique.
(2) Institut supérieur de radioprotection et de sûreté nucléaire.
(3) « Le soin des choses », par Jérôme Denis, professeur de sociologie à Mines Paris-PSL et David Pontille, directeur de recherche au CNRS. Ed. La Découverte.

 

Publié le 13.01.2024

par Fabienne MILLET-DEHILLERIN

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