Une nouvelle génération de robot nageur inspiré des serpents aquatiques

Une équipe de chercheurs d’IMT Atlantique étudie la nage des serpents aquatiques en vue de concevoir un nouveau type de robots nageurs « bio-inspirés ». A la clé, une série de questions scientifiques à résoudre sur le processus de stabilisation en robotique marine de surface.

Comment les serpents aquatiques nagent-ils ?

Cette question toute simple a débouché sur un travail de recherche original, mené à IMT Atlantique. Il consiste à étudier la nage anguilliforme de ces animaux et à s’en inspirer pour concevoir et mettre au point un nouveau type de robot nageur. Baptisé SSSNaeq (1), le projet est piloté par une équipe du Laboratoire des Sciences du numérique de Nantes (LS2N), en lien avec le Muséum d’histoire naturelle de la ville. Prévu pour une durée de quatre ans, il est financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR).

« Nous sommes partis d’un constat : les mouvements des robots nageurs, en règle générale, manquent de fluidité, explique Johann Hérault, enseignant-chercheur au département automatique, productique et informatique (DAPI) d’IMT Atlantique et coordinateur du projet. Ils ont du mal à se stabiliser quand ils se déplacent. Alors que dans la nature, les serpents se maintiennent parfaitement en équilibre à la surface de l’eau. Ils utilisent pour cela l’ensemble de leur corps pour absorber les mouvements parasites qui menacent leur équilibre. Ce qui leur permet de garder la tête stable, et de se mouvoir de façon très agile. »
L’objectif des chercheurs est donc double : analyser la nage des serpents pour mieux comprendre la façon dont ils se stabilisent à la surface de l’eau, et s’en inspirer pour concevoir un robot nageur bio-inspiré.

De nombreuses questions pour les scientifiques

Le sujet soulève une série de questions. Comment expliquer ce sens de l’équilibre chez les serpents ? Est-il possible de le reproduire sur un robot ? Comment empêcher alors celui-ci d’osciller ? Quelle serait la meilleure position à la surface de l’eau pour qu’il se maintienne en équilibre ? Comment commander et contrôler les mouvements du corps de ce robot ? « Ce sont des questions assez complexes, observe Johann Hérault. Nous ne sommes même pas sûrs de bien comprendre comment fonctionne la locomotion des serpents. C’est la moelle épinière qui régule principalement leur mouvement, de façon « décentralisée". La biomécanique devrait nous apporter des réponses

Outre la biomécanique, le projet fait appel à plusieurs autres disciplines : le numérique, la physique, les systèmes de commande-contrôle, et bien sûr la biologie. L’équipe d’IMT Atlantique collabore d’ailleurs avec les biologistes du Muséum d’histoire naturelle de Nantes, spécialistes des serpents. Des contacts ont également été tissés avec des chercheurs du Muséum de Paris, qui travaillent sur la bio-inspiration. Chacun apportant son expertise.

Outre l’observation animale, l’équipe s’est donc attachée à concevoir un nouveau type de robot nageur, dont la morphologie évoque celle d’un serpent. Dans un premier temps, un jumeau numérique a été élaboré par un doctorant, afin de valider les preuves de concept.

L’étape suivante a consisté à confectionner un prototype capable à la fois de nager et de rester stable - un sujet sur lequel planche un autre doctorant. Long d’environ 1,3 mètres, ce robot possède un corps composé de 6 éléments. Il bénéficie de deux technologies inédites : un système d’actionnement fondé sur le contrôle de sa morphologie, et nouveau type de perception, qui lui permet de percevoir son niveau d’immersion grâce au sens électrique, mesuré par des capteurs. La tête, équipée de 3 moteurs, peut s’orienter dans toutes les directions : monter et descendre, tourner. Le corps, lui, est composé de six modules dotés d’une coque. Chacun de ces segments dispose de deux moteurs, qui lui permettent de bouger et de déformer sa coque. Le robot peut ainsi piloter son niveau d’immersion. Cet ensemble implanté dans le corps du robot devrait permettre de soulager la partie commande. La queue, enfin, est flexible. « C’est un dispositif très évolutif : on peut par exemple augmenter le nombre de moteurs, ou ajouter de nouvelles fonctionnalités », ajoute le chercheur.
Une campagne d’essais a été organisée durant l’été dans l’Erdre, la rivière qui coule près de Nantes. Elle a permis de vérifier l’étanchéité de l’ensemble, de caractériser le point d’instabilité et d’assurer la continuité entre le jumeau numérique et le prototype lui-même.

Le robot serpent en essai dans l'Erdre

Les robots nageurs ont la cote

Les retombées potentielles ? « Aujourd’hui, beaucoup d’acteurs cherchent à réduire l’impact de l’activité humaine sur l’environnement. Notre démarche s’inscrit dans cette optique : nous cherchons à concevoir des robots économes en énergie, capables de se déplacer dans les écosystèmes sans les perturber », précise Johann Hérault. A plus long terme, de tels robots pourraient par exemple intervenir dans des situations critiques - tremblement de terre, accident sur une centrale nucléaire, pollution marine…
Un autre aspect intéressant du projet réside dans l’interaction avec le grand public. « Chaque fois que nous présentons les robots nageurs, ils suscitent une grande curiosité, aussi bien chez les adultes qu’auprès des enfants, observe Johann Hérault. Le milieu aquatique, les serpents, la robotique bio-inspirée… Tout le monde a un avis sur le sujet, chacun pose des questions… Pour nous, c’est très stimulant. » Des étudiants normaliens s’intéressent également au robot nageur.
Le projet SSSNaeq se terminera en décembre prochain. La suite reste à définir. « Nous allons tenter de continuer à le faire vivre, indique Johann Hérault. Ou peut-être repartir sur un autre sujet… »


(1) Processus de stabilisation en robotique marine de surface inspiré de la nage des serpents.

Publié le 13.09.2024

par Fabienne MILLET-DEHILLERIN

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