La sûreté ferroviaire à l'heure de l'ouverture à la concurrence

[I'mTech] Avec l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire, l’activité de sûreté de la SNCF devient aussi une prestation. Cette transformation soulève des questions sur l’organisation de l’activité de sûreté. Florent Castagnino, chercheur en sociologie à IMT Atlantique, a étudié comment ce service peut s’adapter.  

Sur les chemins de la sûreté avec Florent Castagnino

Une activité de prévention

Depuis 2021 des compagnies de trains privées sont autorisées à exploiter les rails français jusque-là monopolisés par la SNCF. Cette dernière, en plus d’ouvrir son système ferroviaire à la concurrence, compte proposer des prestations de son service de sûreté aux autres compagnies. Dans le domaine ferroviaire « la sûreté est définie par la prévention des actes de malveillance tels que les vols, les fraudes, les attaques et les attentats, tandis que la sécurité concerne la prévention d’accidents tels qu’un problème d’aiguillage ou de signalisation », indique Florent Castagnino, chercheur en sociologie à IMT Atlantique.

Si la sûreté est une activité de prévention, c’est également une activité commerciale. L’ouverture à la concurrence suppose qu’elle suit une logique lucrative. Il se pose la question de savoir si une entreprise prête à payer plus qu’une autre pourrait obtenir un service de sûreté plus conséquent pour surveiller ses voyages et ses trajets. Par ailleurs, en disposant des agents de sûreté dans une gare, une société ne compte pas seulement réguler les actes de malveillance, elle rassure aussi les voyageurs. « Même si les trains sont sécurisés, une compagnie peut souhaiter que des patrouilles circulent sur le quai ou dans le train pour valoriser son image de marque », déclare Florent Castagnino.

La vente des services de sûreté aux sociétés concurrentes est un enjeu pour la répartition des agents sur le territoire. Alors que certaines gares ou certaines lignes de trains régionales souhaiteraient acheter des prestations du service de sûreté, elles pourraient ne pas y avoir accès en raison de la sollicitation des agents par d’autres compagnies ou sur des régions différentes. Même si le service de sûreté de la SNCF est l’un des services qui augmente ses effectifs le plus régulièrement, « il se pose la question de comment vont se faire les arbitrages », explique le chercheur.

Représenter des problèmes complexes

La répartition des personnels sur le territoire constitue un enjeu du fait de leur nombre limité, mais il est aussi une manifestation du traitement purement géographique de la délinquance. L’analyse des bases de données recensant les mains courantes et les appels d’urgence des patrouilles et des cheminots permet de mettre en évidence la fréquence des actes de malveillance, leur nature et les lieux dans lesquels ils se sont produits. À partir de ces informations, les patrouilles sont envoyées dans les gares qui présentent le plus d’agissements répréhensibles signalés.

Typiquement, s’il y a plus d’actes de malveillance recensés sur une ligne A que sur une ligne B, davantage d’agents seront envoyés sur la ligne A. Dans ce cas, l’analyse menée à partir des bases de données écarte de fait les origines multiples et complexes de la délinquance pour ne se concentrer que sur la manifestation géographique du phénomène. Les causes de la délinquance étant considérées comme externes aux sociétés de chemin de fer, ces dernières ne peuvent pas agir sur elles aussi simplement que sur les problèmes de sécurité qui ont quant à eux des causes souvent considérées comme internes. Leur identification et leur résolution sont de ce fait plus simples.

Pour Florent Castagnino, la mobilisation « de bases de données en prévention de la délinquance participe à reproduire la manière de traiter les problèmes accidentels ». À partir des années 90, « il y a une volonté d’objectiver la sûreté en prenant en partie modèle sur la façon de gérer les accidents, poursuit le chercheur. Cela s’explique par la décision d’appliquer des méthodes qui marchent sur un domaine, ici la sécurité, à un autre domaine, en l’occurrence la sûreté », ajoute-t-il. Dans le cas de la sécurité : si une défaillance technique telle qu’une panne de signalisation est régulièrement repérée sur un type d’équipement, des agents de maintenance seront envoyés pour réparer les feux sur les voies ferrées concernées, et une révision générale de l’équipement peut être engagée. Dans le cas de la sûreté, s’il y a une gare avec de nombreux actes de malveillance répertoriés, des agents du service de sûreté peuvent être envoyés sur les lieux pour réguler les problèmes de délinquance.

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Publié le 09.03.2022

par Pierre-Hervé VAILLANT